Délimiter précisément les contours juridiques du télétravail…
Publié dans : Agir Mag n°92, janvier/février 2021 Auteurs : Stéphane Laubeuf et Alexandre Barbotin
4 questions à Stéphane Laubeuf et Alexandre Barbotin, Avocats Fondateur du cabinet Greenwich Avocats.
Agir Mag : Quelle est la différence entre le télétravail et le travail à domicile ?
Stéphane Laubeuf : le télétravail est défini par le code du travail comme une forme d’organisation du travail par laquelle une partie de l’activité est effectuée volontairement par un salarié, hors des locaux de l’entreprise, en utilisant les technologies de l’information et de la communication. Il diffère en cela du travail à domicile qui est considéré, dans le cadre légal, comme une activité extérieure à l’entreprise, rémunérée de façon forfaitaire, qui peut s’exercer seul ou avec son conjoint, ses enfants ou un auxiliaire.
Dans le premier cas, le télétravail est une alternative. Dans le second cas, c’est un mode de fonctionnement contractuel. La grande différence réside dans le type de rémunération : le télétravailleur perçoit une rémunération fixe correspondant à une durée de travail déterminée contractuellement, alors que le travailleur à domicile perçoit une rémunération forfaitaire pour la mission confiée, sans référence à une durée de travail. C’est le cas d’un traducteur payé un montant fixe par page traduite, indépendamment du temps passé, cette mission pouvant être épisodique, irrégulière, voire se limiter à une seule tâche.
Agir Mag : Comment l'employeur peut-il contrôler le temps de travail et la productivité ?
Alexandre Barbotin : Le télétravail repose surtout sur un contrat de confiance dans la mesure où le contrôle du temps de travail réellement effectué se fera par rapport au régime auquel le salarié est soumis et à son degré d’autonomie, en fonction de son statut. Ce contrôle s’effectue donc à partir d’un référentiel clair, basé sur une durée hebdomadaire ou mensuelle, calculée en heures ou en forfait jours. Le contrat de travail ne subit aucune modification quant à la durée de travail ou au niveau opérationnel, fonctionnel et hiérarchique. Si une charte de télétravail existe, assortie éventuellement d’un accord collectif et d’avenants individuels, le contrôle se base sur 4 points : des plages horaires où le salarié est joignable et connecté, un reporting régulier de l’activité, les alertes vis-à-vis de la hiérarchie en cas de difficulté et la production de travail effectivement fourni.
Pour que le fonctionnement soit fluide, il est important que les modalités d’exécution du télétravail soient définies en amont, ce qui permet à l’employeur comme au salarié de s’y référer s’ils ne sont pas satisfaits du résultat et des conditions.
Mesurer le temps est une chose, jauger la productivité en est une autre, notamment dans le cas de prestation intellectuelle en situation de télétravail. La quantité n’est pas une mesure suffisante puisque la productivité se définit comme la capacité d’un collaborateur à réaliser la mission confiée, selon ses connaissances et son niveau d’expérience, dans un délai imparti et grâce à des moyens donnés pour atteindre un objectif.
L’entreprise devra en retour veiller à respecter ses obligations en termes de repos et de droit à la déconnexion, et faire en sorte que l’encadrement fasse appliquer ces règles à l’ensemble des collaborateurs, dans un souci d’équité. L’idéal est de rédiger une charte ou un accord qui encadre le dispositif, et détermine précisément les outils et les processus mis en œuvre pour parvenir à un résultat concret et partagé par tous. Des actions de formation pour les cadres, chargés de l’application de ces règles, sont utiles afin de créer un environnement cohérent et structuré.
Agir Mag : Les « circonstances exceptionnelles » peuvent-elles imposer « du » télétravail ?
Stéphane Laubeuf : La loi autorise le recours au télétravail en cas de circonstances exceptionnelles. L’article L 1222-11 du Code du travail vise en particulier les menaces d’épidémie avec, en filigrane, l’objectif de permettre la continuité de l’activité de l’entreprise et de garantir la protection de la santé et de la sécurité des salariés. Le télétravail est alors considéré comme un simple aménagement des conditions de travail, qui peut être imposé par l’entreprise. L’accord national interprofessionnel du 26 novembre 2020 « pour une mise en œuvre réussie du télétravail » cherche à anticiper ce genre de circonstances ; il incite les acteurs concernés à intégrer des mesures prévisionnelles spécifiques dans l’accord ou dans la charte de télétravail.
Agir Mag : Quelles sont les règles pour caractériser un accident du travail en télétravail ?
Alexandre Barbotin : La reconnaissance d’un accident du travail ne dépend ni du salarié, ni de l’entreprise, mais de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie (CPAM) qui, sur la base des informations recueillies dans le cadre de son enquête, dira si l’accident survenu est un accident du travail, survenu pendant le temps d’activité professionnelle et sur le lieu de travail. Le fait que le salarié travaille depuis chez lui ne pose pas de difficulté en soi : il peut être victime d’un accident du travail en télétravaillant, notamment lorsque l’accident résulte d’un défaut d’ergonomie de l’outil de travail.
L’accord national interprofessionnel du 26 novembre 2020 prévoit d’ailleurs que la présomption d’imputabilité en matière d’accidents de travail s’applique dans le cadre du télétravail « malgré les difficultés de mise en œuvre pratique » qu’elle occasionne. Le salarié étant le seul témoin de ce qui lui est arrivé, cette situation pourra conduire l’employeur à formuler des réserves, dans le cadre de la déclaration de l’accident, auprès de l’Assurance maladie. Dans ce contexte, la CPAM mènera son enquête sur la base des seules déclarations du salarié, à charge pour elle de déterminer que l’accident n’est pas de nature domestique.
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