Peut-on se faire licencier dans le Métavers ?

Greenwich Social
Publié dans : Expertises n°478, avril 2022 Auteurs : Julien Damiano

9 heures 18, le réveil de Thomas Anderson fait un énième rappel. À nouveau, Thomas Anderson arrive en retard à son travail chez Metacortex.

Son employeur, Monsieur Rhineheart, le sermonne :

« – Vous avez un problème avec l’autorité, M. Anderson. Vous croyez que vous êtes spécial, que d’une certaine manière les règles ne s’appliquent pas à vous. De toute évidence, vous vous trompez. Cette société est l’une des meilleures sociétés de logiciels au monde parce que chaque employé comprend qu’il fait partie d’un tout. Ainsi, si un employé a un problème, l’entreprise a un problème. Le temps est venu de faire un choix, M. Anderson. Soit vous choisissez d’être à votre bureau, à l’heure, à partir de ce jour, soit vous choisissez de vous trouver un autre travail. Est-ce que j’ai été parfaitement clair ?

– Oui M. Rhineheart, parfaitement clair ».

Mais Thomas Anderson pouvait-il véritablement arriver en retard au travail ? Son employeur a-t-il le pouvoir de le licencier, comme il l’en menace ?

En effet, à ce moment même, Thomas Anderson alias Neo ne le sait pas encore mais il s’apprête à prendre conscience de la matrice dans laquelle il vit, un monde virtuel et numérique dont les humains font l’expérience par le biais de flux transmis à leur système nerveux.

Une fois sorti de la matrice, Neo/Thomas Anderson est déconnecté de ce monde virtuel et retrouve le monde « réel ».

Aussi, quel impact pourraient bien avoir de tels agissements fautifs et les sanctions disciplinaires venant les corriger, puisqu’elles interviennent dans un monde virtuel et sont le fait d’avatars ?

En décomposant le nom de la firme pour laquelle Néo travaille, Metacortex, on obtient le préfixe grec « meta », qui signifie « au-delà », et le mot « cortex », qui fait allusion à la matière grise contenue dans le cerveau.

Un mot qui évoque donc l’idée de dépasser les frontières de son intellect.

Mais surtout un mot qui en évoque un autre, bien plus proche de la réalité que la trilogie Matrix des sœurs Wachowski, à savoir le Métavers.

De la fiction à la réalité ?

Le terme « Métavers » est la contraction de « meta » qui signifie l’au-delà, l’après en grec et d’ « univers ». Le Métavers se trouverait donc au-delà de l’univers, un univers numérique interactif et immersif du futur avec des avatars de personnes qui pourront, théoriquement, faire tout ce qu’ils font déjà dans le monde réel.

Il existe et il existera en réalité plusieurs Métavers. Certains auront des fins commerciales, d’autres éducatives et d’autres encore seront des univers de divertissement, ces univers finissant peut-être même par se connecter pour ne former qu’un tout.

Mais le Métavers qui nous intéresse est celui dans lequel il sera possible de travailler, tel que celui imaginé par Meta (ex-Facebook).

En effet, le recours au « Métavers du travail » prend peu à peu forme et certaines entreprises l’expérimentent déjà, comme Accenture, qui a eu recours au Métavers de Microsoft afin de permettre à ses salariés de se rencontrer, d’interagir et de collaborer dans des bureaux virtuels par le biais de la réalité virtuelle.

Toutefois, le « Métavers du travail » soulève certaines problématiques s’agissant notamment de l’application du droit du travail. Devra-t-on appliquer le droit du travail comme il est appliqué dans la réalité ou sera-t-il nécessaire de réfléchir à un nouveau régime juridique applicable dans le Métavers à nos avatars et leurs relations, un « Métadroit » ?

L’avatar, un non-sujet de droit.

Derrière le titre de cet article, se cache une problématique plus générale relative au statut de l’avatar dans le monde du travail.

En principe, l’avatar n’est pas considéré comme une extension de la personne et n’a pas la personnalité juridique, s’agissant d’une représentation informatique d’un individu dans un monde virtuel. Aussi, si l’avatar n’est pas regardé comme une extension de la personne, il ne peut donc pas lui être appliqué les droits et obligations qui incombent au salarié. Par conséquent, l’application des dispositions du droit du travail dans le Métavers est discutable, dès lors qu’elles ne semblent pas s’appliquer à la même « personne ». Appliquer un régime juridique à « quelqu’un » qui n’en est pas le destinataire paraît inepte.

S’agissant de l’exécution de la prestation de travail, si celle-ci s’effectue dans le Métavers, par analogie, le travail effectué devrait revenir à l’avatar qui l’a accompli. Pour autant, il faut garder en mémoire que derrière l’avatar de chacun, demeure un Homme « réel » en chair et en os qui reste tenu de répondre aux directives de son employeur réel. Se poserait alors la question de savoir s’il est possible de prendre une sanction à l’encontre d’un avatar qui aurait commis une faute dans le Métavers et de ne prendre aucune sanction à l’égard du salarié réel. Cette logique impliquerait donc que le salarié et son avatar ne forment donc pas une seule « entité », mais qu’il y en aurait véritablement deux distinctes.

Si l’on pousse le raisonnement, on peut se demander si un employeur pourrait procéder au licenciement d’un avatar dans le Métavers. Dans cette hypothèse, le licenciement devra-t-il être prononcé à l’encontre du salarié qui le contrôle, avec le respect de la procédure idoine, entraînant ainsi une suspension de l’activité de son avatar ?

In fine, peut-on imaginer distinguer l’Homme de l’avatar ?

Un régime juridique à créer de toutes pièces.

En réalité, on peut très bien imaginer que le régime juridique vers lequel il faut tendre est celui où la personne identifiable à son avatar est responsable de ses agissements et qu’elle pourra être sanctionnée dans le monde réel en cas de fautes commises dans le Métavers.

Le Métavers ne doit pas être synonyme d’irresponsabilité.

Or, le problème est que ce régime juridique n’existe pas encore et que nos modèles juridiques ne sont pas adaptés à l’arrivée des Métavers, tels qu’ils sont conceptualisés.

Ainsi, pourra-t-on vraiment affirmer qu’être présent sous la forme d’un avatar dans le Métavers équivaut à être présent physiquement au travail dans la réalité ?

Il faut garder à l’esprit que le droit du travail est le droit de l’homme subordonné, pas un droit de l’avatar dont une dérive pourrait être, par exemple, d’autoriser que l’entretien préalable au licenciement se déroule dans le Métavers, au mépris des garanties procédurales accordées au salarié.

Autre exemple, si pour rejoindre le Métavers et son avatar, le salarié fait usage de son ordinateur ou des lunettes de réalité virtuelle de l’entreprise, le régime du télétravail parait inapplicable dès lors que l’avatar ne se contente pas d’avoir des réunions en visioconférence, mais accède réellement à un autre univers dans lequel il peut travailler, avoir son bureau, rencontrer ses collègues, y déjeuner… Soit une forme d’exécution du travail qui n’est pas distancielle, mais aux frontières du réel…

Par extension, l’employeur qui s’implantera dans le Métavers devra nécessairement former ses salariés à son application concrète (utilisation des équipements, adaptation du poste de travail, organisation du travail dans le Métavers, etc.).

De même, s’il incombe à l’employeur de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, cette obligation s’appliquera-t-elle de la même manière dans le Métavers ?

Le Métavers étant un univers numérique, cette obligation qui pèse sur l’employeur se voit remise en cause dès lors que la santé et le corps physique du salarié dans la réalité n’est pas le même que celui de son avatar.

À titre d’exemple, si un avatar est blessé sur le lieu de travail, le salarié dans la réalité sera en principe parfaitement indemne puisqu’extérieur au Métavers.

Mais à l’inverse, dans la mesure où les avatars seront contrôlés par les salariés, les risques psychosociaux seront eux bien réels et l’employeur restera le garant de la santé et de la sécurité de ses collaborateurs.

Pilule bleue ou pilule rouge ?

On peut le voir, le développement d’un « Métavers du travail » soulève de multiples questions auxquelles l’état du droit ne permet pas réellement d’apporter une réponse arrêtée.

En effet, le code du travail régit les relations entre les employeurs et leurs salariés, mais pas celles entre leurs avatars interposés dans un monde virtuel.

On peut aussi facilement envisager l’entrée en scène d’un troisième acteur de ces relations de travail, à savoir l’entreprise qui hébergera de tels Métavers sur ses serveurs (Meta, Microsoft, etc.) et qui sera très certainement chargée, comme c’est déjà le cas par exemple en matière de cyber harcèlement sur les réseaux sociaux ou dans les jeux vidéo en ligne, de faire cesser tout comportement répréhensible en ligne, à charge pour l’employeur ou le salarié, qui se dit victime d’un agissement fautif, de le contester dans le monde réel.

Avec du recul, imaginer une nouvelle forme de droit du travail pourrait presque paraître excessif, quand de façon schématique, on l’imagine réglementer des relations de travail entre des avatars dans un monde virtuel.

Mais la fiction s’apprête à dépasser la réalité, le cabinet Gartner prédisant que d’ici 2026, 25% de la population passera au moins une heure par jour dans le Métavers, pour travailler, s’éduquer, s’amuser, acheter et que 30% des entreprises mondiales possèderont des produits et des services dans le Métavers…

En bref, une réplique en un seul monde virtuel, de multiples environnements qui sont séparés dans le monde physique.

Aussi, il faut s’attendre à une révolution juridique passionnante avec le développement du « Métavers du travail » et toutes les questions qu’il soulève et que devront trancher les juridictions (ou qui sait, les « Métajuridictions »).

Mais en l’état, un licenciement dans le Métavers serait privé d’effet dans le monde réel.