Des commandements gravés dans la pierre aux « lois twittées ».

Greenwich Social
Publié dans : Actuel RH Auteurs : Alexandre Barbotin et Julien Damiano

Si le droit du travail est d’ordinaire considéré comme un système savamment hiérarchisé, force est de constater que la crise sanitaire a bousculé, pour ne pas dire remis en cause, cet ordre jusque-là bien établi. Et évolution technologique oblige : on a assisté à la naissance d’un « droit twitté », bien loin des premiers commandements gravés dans la pierre. Le pouvoir exécutif n’a en effet pas hésité à multiplier les incursions normatives sur les réseaux sociaux pour combler un certain vide législatif ou réglementaire, ou à tout le moins l’adapter ou l’interpréter.

Cette communication faussement réglementaire, tout aussi inédite que la crise sanitaire qui l’a vu naître, a eu des impacts non négligeables pour les entreprises : les changements de caps ont été nombreux, la pseudo-réglementation en découlant servant souvent des objectifs court-termismes et s’avérant régulièrement incomplète, voire inaudible.

Ainsi, communiqués de presse, protocoles, questions-réponses et tweets du gouvernement sont devenus l’alpha et l’oméga, le guide ultime pour beaucoup, dont chaque mise à jour est surveillée comme le lait sur le feu par les rédactions juridiques.

Premier exemple, si le gouvernement avait instauré l’obligation de placer en activité partielle certaines catégories d’employés, la question se posait encore de savoir s’il était possible pour l’employeur de refuser l’activité partielle à un salarié pour garde d’enfant ou pour les salariés vulnérables ou leurs proches, lorsque le télétravail n’était pas possible.

Face à une première intervention sibylline de la Ministre du travail qui avait répondu « on verra ça fin mai, il faudra peut-être une attestation scolaire », il avait fallu attendre un tweet puis une seconde intervention médiatique pour y trouver une réponse partielle et incomplète, notamment sur le sujet de la garde de personnes handicapées.

Autre illustration, alors que le chef de l’État avait annoncé dans son allocution du 19 mars 2020 que les entreprises devaient maintenir leur activité, faisant de l’activité partielle une mesure de dernier recours, il avait été décidé, dans un décret du 25 mars, d’adapter l’activité partielle en élargissant la liste des bénéficiaires et l’augmentation de sa durée d’autorisation, liste à nouveau élargie quelques jours après par une ordonnance du 27 mars.

Cette situation n’a en fait eu de cesse de se répéter : en matière d’activité partielle (annonce d’une ouverture totale du dispositif sans contrôle a priori succédée de la mise en œuvre de contrôles a posteriori sans délimitation réglementaire des pouvoirs de l’administration) ou d’obligation vaccinale.

On ne peut pas ne pas citer, pour conclure cette liste qui ne prétend pas à l’exhaustivité, « le protocole national pour assurer la santé et la sécurité des salariés en entreprise face à l’épidémie de Covid-19 » qui a connu près d’une quinzaine de mises à jour, dont la dernière en date du 8 décembre 2021.

À cet égard sait-on encore comment il est possible de tenir un déjeuner dans le milieu professionnel ?! Ainsi la mise à jour du 30 juin 2021 avait-elle supprimée les jauges d’accueil pour les restaurants d’entreprise et l’espacement de 2 mètres entre les convives, avant que celle du 29 novembre ne vienne réinstaurer une jauge de 8 m² par salarié et en quinconce, comme c’était le cas… en mars 2021 et séparés, si possible, par des barrières de plexiglass. La dernière mise à jour enfin vient même suspendre les moments de convivialité en entreprise alors que la précédente ne faisait que les déconseiller et prévoir une distanciation de 2 mètres entre chaque personne. Il devient donc ô combien difficile de s’y retrouver entre déjeuners dans un restaurant d’entreprise ou non, entre mesures de distanciations et jauges d’accueil…

Cette pratique nouvelle a donc doté le droit du travail, dont le caractère byzantin était pourtant déjà décrié, d’un droit/corps mou à la portée normative plus qu’incertaine, que certains ont désigné sous l’anglicisme, il est vrai plus élégant, de « soft law ».

Mais les entreprises et leurs conseils éprouvent des difficultés substantielles à appréhender ce nouveau corpus et son caractère supposément obligatoire, pris entre les déclarations du ministère du travail, le code du travail et la jurisprudence sociale.

Faut-il mieux se fier à l’application des textes habituels ou suivre la voie du droit mou, au risque d’avoir un jour à se justifier devant un juge ou vis-à-vis de l’Urssaf à l’aide d’un tweet ou d’un protocole dépourvus de la moindre valeur légale ?

Il est probable que les injonctions médiatiques n’auront qu’un écho résiduel devant les juridictions. Il convient en effet de ne pas omettre qu’après s’être montrée assez créative, ce qui a pu être analysée comme une approche de Common law, où le juge construit le droit via la pratique du précédent jurisprudentiel, la chambre sociale de Cassation est revenue ces dernières années à une approche beaucoup plus légaliste, s’en tenant aux textes et à l’interprétation stricte de ces derniers.

Dans ce contexte, chacun se fera son avis et choisira son école : adapter sans cesse ses pratiques selon le nouveau, et très (trop) précis, droit médiatique ou se conformer à la loi et au règlement, quitte à combler certains vides laissés par des textes généraux ou la jurisprudence, au moyen d’une négociation collective revigorée et modernisée par la crise sanitaire.

Le choix semble facile.