La rencontre du Métavers, des salariés et du CSE.
Publié dans : Social CSE n°123, mars-avril 2023 Auteurs : Julien Damiano, Zoé Couturier et Julien Massillon
Avec l’avènement du Métavers se développe une nouvelle forme de travail, un travail dans un univers numérique via avatars interposés. Julien Damiano et Julien Massillon s’interrogent sur cette évolution et sur ses répercussions pour les salariés dans les attributions du CSE.
Le terme « Métavers » est la contraction de « meta » qui signifie l’au-delà, l’après en grec et d’« univers ». Le Métavers se trouverait donc au-delà de l’univers, un univers numérique interactif et immersif du futur avec des avatars de personnes qui pourront, théoriquement, faire tout ce qu’ils font déjà dans le monde réel.
Il existe et il existera en réalité plusieurs Métavers. Certains auront des fins commerciales, d’autres éducatives et d’autres encore seront des univers de divertissement, ces univers finissant peut-être même par se connecter pour ne former qu’un tout.
Mais le Métavers au cœur de notre réflexion est celui dans lequel il sera possible de travailler, tel que celui imaginé par Meta.
Certaines entreprises l’expérimentent déjà, comme Accenture, qui a eu recours au Métavers de Microsoft afin de permettre à ses salariés de se rencontrer, d’interagir et de collaborer dans des bureaux virtuels par le biais de la réalité virtuelle.
Ce « Métavers du travail » soulève certaines problématiques s’agissant notamment de l’application du droit du travail. Quelle place pour les salariés dans cet univers ? Comment faire entrer le CSE dans ce nouvel espace de travail et quelles missions lui confier ?
L’avatar, un non-sujet de droit.
Le Métavers est donc un lieu où les salariés, sous la forme d’avatars, pourront venir travailler ou prendre des temps de pause.
En principe, l’avatar n’est pas considéré comme une extension de la personne et n’a pas la personnalité juridique, s’agissant d’une représentation informatique d’un individu dans un monde virtuel.
En effet, la personnalité juridique peut être définie comme l’« aptitude à être titulaire de droits et assujetti à des obligations qui appartient à toutes les personnes physiques, et dans des conditions différentes aux personnes morales ».
Dans ce contexte, seules les personnes physiques et morales peuvent posséder une personnalité juridique.
Aussi, l’avatar, dénué d’autonomie de pensée et n’étant qu’une représentation graphique de l’individu qui le contrôle, ne peut se voir appliquer les droits et obligations qui incombent au salarié. Par conséquent, l’application des dispositions du droit du travail dans le Métavers est discutable, dès lors qu’elles ne semblent pas s’appliquer à la même « personne ». Appliquer un régime juridique à « quelqu’un » qui n’en est pas le destinataire paraît inepte.
S’agissant de l’exécution de la prestation de travail, si celle-ci s’effectue dans le Métavers, par analogie, le travail effectué devrait revenir à l’avatar qui l’a accompli. Pour autant, il faut garder en mémoire que derrière l’avatar de chacun, demeure un être humain « réel » en chair et en os qui reste tenu de répondre aux directives de son employeur réel. Se poserait alors la question de savoir s’il est possible de prendre une sanction à l’encontre d’un avatar qui aurait commis une faute dans le Métavers et de ne prendre aucune sanction à l’égard du salarié réel. Cette logique impliquerait donc que le salarié et son avatar ne forment donc pas une seule « entité », mais qu’il y en aurait véritablement deux distinctes.
Si l’on pousse le raisonnement, on peut se demander quelle place aura la représentation collective dans le Métavers. L’employeur pourrait-il informer et consulter les élus dans le Métavers ?
Un régime juridique à créer de toutes pièces.
De façon très prosaïque, la mise en place du Métavers au sein de l’entreprise devra faire l’objet d’une information-consultation du CSE, puisqu’il s’agira d’introduire une nouvelle technologie et que cet aménagement aura des incidences sur les conditions de santé et de sécurité ainsi que les conditions de travail.
C’est donc d’abord dans le monde physique que les élus du CSE devront se prononcer sur les modalités de mise en œuvre du Métavers au sein de leur entreprise, compte tenu de leurs attributions relatives à l’introduction de nouvelles technologies.
Une fois le Métavers en place dans l’entreprise, comment veiller à ce que les droits des salariés y soient préservés ? Faut-il y dédoubler les instances ? Doit-on y appliquer les mêmes règles alors qu’être présent sous la forme d’un avatar dans le Métavers n’équivaut pas nécessairement à être présent physiquement au travail dans la réalité ? S’il incombe à l’employeur de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, cette obligation s’appliquera-t-elle de la même manière dans le Métavers ?
Le Métavers étant un univers numérique, cette obligation qui pèse sur l’employeur se voit remise en cause dès lors que la santé et le corps physique du salarié dans la réalité n’est pas le même que celui de son avatar.
À titre d’exemple, si un avatar est blessé sur le lieu de travail, le salarié dans la réalité sera en principe parfaitement indemne puisqu’extérieur au Métavers.
Mais à l’inverse, dans la mesure où les avatars seront contrôlés par les salariés, les risques psychosociaux seront eux bien réels et l’employeur restera le garant de la santé et de la sécurité de ses collaborateurs.
En recourant, lorsque de besoin, à l’expertise, les élus du CSE devront très certainement analyser les risques professionnels potentiels, s’assurer que des mesures prévenant le harcèlement en ligne soient mises en œuvre et veiller à préserver l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle en sorte que le temps de connexion au Métavers ne soit pas excessif.
Un monde virtuel réellement en expansion ?
En plus de l’employeur, du salarié et du CSE, on peut facilement envisager l’entrée en scène d’un quatrième acteur de ces relations de travail, à savoir l’entreprise qui hébergera de tels Métavers sur ses serveurs (Meta, Microsoft, etc.) et qui sera très certainement chargée, comme c’est déjà le cas par exemple en matière de cyber harcèlement sur les réseaux sociaux ou dans les jeux vidéo en ligne, de faire cesser tout comportement répréhensible en ligne, à charge pour l’employeur ou le salarié, qui se dit victime d’un agissement fautif, de le contester dans le monde réel.
Au titre de ses attributions sur les conditions de santé et de sécurité, le CSE devra se positionner comme un incontournable interlocuteur.
Avec le développement du « Métavers du travail », il faut donc s’attendre à une révolution juridique passionnante qui aura nécessairement des incidences importantes sur le rôle du CSE et la vie quotidienne des salariés.
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