Abandon de poste et présomption de démission : que conseiller aux salariés ?

Greenwich Social
Publié dans : Social CSE n°127, novembre-décembre 2023 Auteurs : Julien Massillon et Alexandre Barbotin

Par de nouvelles dispositions entrées en vigueur au printemps 2023, les sanctions de l’abandon de poste sont plus sévères pour les salariés qui pourraient ne plus bénéficier d’une indemnisation par l’assurance chômage.

La culture populaire garde en mémoire le célèbre « Au revoir, président ! » seriné par le salarié sur le départ, récemment chanceux à la loterie. Son geste bravache, et son absence ensuite, ne pouvaient à l’époque être considérés comme une démission, celle-ci devant alors être expresse et non présumée. Il en résultait que pour mettre un terme au contrat de travail du nouveau riche, il revenait à l’employeur de le licencier pour abandon de poste. La rupture n’étant pas à l’initiative du salarié, celui-ci pouvait, en sus de ses millions fraîchement reçus, prétendre au bénéfice de l’assurance chômage.

De l'abandon de poste à la démission.

Il n’en serait plus de même aujourd’hui. Depuis la loi portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi du 22 décembre 2022 et le décret du 17 avril 2023 qui en applique les dispositions, un abandon de poste et un refus de reprendre le travail entraînent une présomption de démission (articles L. 1237-1-1 et R. 1237-13 du code du travail). En d’autres termes, le salarié est réputé avoir souhaité mettre fin à son contrat de travail. La rupture étant, dans ce contexte, à l’initiative du salarié, il ne lui est pas possible de solliciter une indemnisation auprès de l’assurance chômage.

Selon une étude de l’Unédic parue en juin 2023, cette évolution des règles affecterait les droits de plus de 80 000 personnes chaque année, 80% d’entre elles ayant moins de 40 ans. Si un peu moins de la moitié des personnes interrogées auraient quand même démissionné ou abandonné leur poste quitte à ne pas bénéficier d’allocations chômage, il y a fort à parier qu’elles auraient quand même pris la peine de se renseigner plus précisément sur leurs droits auprès de leurs élus. C’est la raison pour laquelle il importe de comprendre ce qui motive les salariés à quitter leur poste, et surtout de déterminer quels conseils leur apporter à cette occasion.

Les personnes sondées par l’Unédic révèlent que parmi les raisons les plus souvent avancées pour expliquer un abandon de poste, on retrouve la dégradation des conditions de travail, le souhait d’une reconversion professionnelle ou des problèmes de santé ou de harcèlement. Autant de sujets qui tombent dans l’escarcelle du CSE au titre de ses attributions générales, puisqu’il doit être informé et consulté pour les questions relatives aux conditions de travail, dont la durée du travail ou la formation professionnelle. Il peut aussi susciter des initiatives pour prévenir les actes de harcèlement moral ou sexuel. En usant de tous les leviers à leur disposition, les élus peuvent favoriser le maintien des salariés à leur poste et leur éviter des situations de précarité qui découleraient d’une période de chômage non indemnisée.

Les préconisations de Greenwich Avocats.

Cela étant, les élus au CSE ne peuvent pas tout accomplir et il n’est pas non plus prévu qu’ils soient sollicités dans l’hypothèse où un salarié abandonne son poste. Il leur est néanmoins possible de rappeler à l’employeur que le recours à la présomption de démission est certes une faculté, mais qu’il demeure envisageable de procéder au licenciement pour faute grave du salarié, permettant à celui-ci de bénéficier de l’assurance chômage. Dans la mesure où la moitié des abandons de poste sont faits en accord avec l’employeur d’après l’étude de l’Unédic, il convient de ne pas condamner cette issue qui peut convenir aux deux parties et qui n’est pas contraire à la loi en l’état des dispositions en vigueur.

Quand les conditions de travail ne connaissent aucune amélioration et que l’option d’un départ « concerté » est impossible à mettre en œuvre, on a déjà vu des salariés rivaliser d’originalité pour commettre des impairs et des erreurs susceptibles d’entraîner leur licenciement disciplinaire, en sorte que l’employeur soit à l’initiative de la rupture. Si une attitude délétère peut s’avérer immédiatement payante pour quitter l’entreprise, elle confine toutefois à la politique de la terre brûlée : on peut s’user soi-même quand on se lève chaque matin dans l’unique but d’être licencié et on prend le risque de se compromettre auprès de personnes qui pourraient, ultérieurement, favoriser des avancées de carrière ou émettre une recommandation favorable.

Quitte à partir en prenant un risque, la prise d’acte de rupture du contrat de travail mérite également d’être considérée. Cette modalité consiste en ce que le salarié quitte son poste en indiquant par courrier à son employeur les griefs qu’il lui impute et qui justifient sa décision d’en terminer. Il doit ensuite saisir le conseil de prud’hommes qui examinera si les griefs avancés sont suffisamment graves pour considérer que la rupture du contrat de travail est légitime.

Si c’est le cas, le salarié peut obtenir le paiement de son préavis et d’indemnités de licenciement et le versement d’allocations chômage.
Attention toutefois, le pari a son revers : si les motifs du salarié ne sont pas suffisamment graves, son départ pourra être analysé comme une démission et il pourra être tenu de verser une indemnité de préavis à l’employeur, s’il ne s’est pas proposé d’exécuter celui-ci.
Compte tenu de l’aléa de cette procédure à haut risque qui n’ouvre donc droit à aucune indemnisation chômage en cas d’échec, on ne peut que préconiser aux salariés qui l’envisagent de se faire accompagner pour prendre une décision éclairée et déterminer si les motifs soulevés sont susceptibles d’être jugés acceptables devant la juridiction prud’homale.

En définitive, la rupture du contrat de travail est souvent un moment de tensions et de questionnements au cours duquel bénéficier de conseils adaptés permet d’aborder plus sereinement la situation. Les élus du CSE pourront prendre un rôle majeur dans ce cadre.