Retour vers le futur : les « travailleurs augmentés » et le droit social.
Publié dans : DAF Mag Auteurs : Alexandre Barbotin et Zoé Couturier
Dans l’emploi de l’expression « travailleurs augmentés » se trouve l’idée qu’il serait possible, à l’aide des nanotechnologies et de l’intelligence artificielle, d’augmenter les capacités professionnelles des intéressés.
Si l’adaptation de la personne du salarié peut être réalisée par le recours aux nouvelles technologies, l’intelligence artificielle joue également un rôle de plus en plus prééminent dans les missions professionnelles, ce qui pose inévitablement la question de l’appréhension de ces phénomènes par le droit du travail.
L’adaptation des capacités personnelles du salarié par le recours aux nouvelles technologies.
À titre de premier exemple, des nanotechnologies sous-cutanées peuvent être incorporées directement dans le corps du salarié. Quelques entreprises ont ainsi fait le choix d’intégrer des micropuces à leurs collaborateurs, permettant à ces derniers d’ouvrir la porte d’entrée, de se connecter à leur ordinateur, d’utiliser la photocopieuse ou de payer leur café à la machine à café par un simple mouvement de main ou de bras. C’est le cas, entre autres, de la société américaine Three Square Market. Insérée sous la peau, cette puce, qui ne dépasse pas la taille d’un grain de riz, soulève évidemment des questions quant au respect de la vie privée et au stockage des données utilisées.
D’autres pratiques, moins intrusives, sont aujourd’hui utilisées par des entreprises chinoises. Si ces procédés ne sont pas incorporés dans le corps du salarié, ils ne sont pas moins susceptibles de porter atteinte à sa vie privée. À ce titre, l’usine Hangzhou Zhongheng Electric a doté ses salariés de capteurs posés directement sur la tête afin de calculer le niveau de stress du personnel, prévenir les problèmes psychologiques et tendre ainsi à une production optimisée.
Mais encore, autre mécanisme externe, l’exosquelette est une structure qui assiste le salarié, le plus souvent, pour supporter des charges lourdes. Ce procédé est par exemple utilisé afin que les salariés seniors puissent continuer à travailler plus longtemps, sans danger pour leur santé.
Pour l’heure, ces technologies sont très peu développées en France notamment pour des raisons de libertés fondamentales, de dignité et d’atteinte au corps humain.
Dans le même temps, les risques que font courir ces équipements soulèvent nécessairement des questions en termes de responsabilité. En l’état actuel du droit, le statut de ces nouvelles technologies est pour l’heure source d’incertitudes. Par exemple, en cas d’accident du travail lié à leur utilisation : devra-t-on engager la responsabilité de l’employeur ? Du fabriquant ? Du fournisseur ? Un régime cumulatif de responsabilités devra-t-il être dégagé ?
Pour revenir à l’intelligence artificielle, si les choses paraissent plus avancées, elles ne sont pas pour autant clarifiées…
L’intelligence artificielle.
En avril 2021, le Parlement européen a harmonisé les définitions de l’intelligence artificielle. Celle-ci renverrait à un logiciel développé au moyen d’une ou plusieurs des techniques qui peut, pour un ensemble donné d’objectifs définis par l’homme, générer des résultats tels que des contenus, des prédictions, des recommandations ou des décisions influençant les environnements avec lesquels l’individu interagit.
Le concept de l’intelligence artificielle est délicat à saisir en ce qu’il se situe au point de contact de l’informatique (qui permet de collecter et de stocker les données et les algorithmes), de l’électronique (qui fournit les supports matériels de l’activité de stockage et de circulation des informations) et des sciences cognitives qui permettent l’analyse des activités mentales (compréhension, perception, décision…).
Une distinction s’opère au sein de la définition de l’intelligence artificielle entre l’intelligence artificielle faible et l’intelligence artificielle forte. La « faible » renvoie à une machine capable d’effectuer une tâche extrêmement précise, en simulant une fonction spécifique. La « forte » caractérise quant à elle une situation où la machine serait consciente d’elle-même, de sa capacité à raisonner et pourrait même être dotée de sentiments.
Si la montée en puissance de l’intelligence artificielle dans les relations professionnelles peut être porteuse de projections prometteuses pour certains, il faut garder à l’esprit qu’elle impliquerait, tout comme les autres nouvelles technologies, des conséquences non-négligeables en droit du travail.
La question de l’appréhension de l’intelligence artificielle par le droit du travail.
En 2018, France Stratégies a publié́ un rapport qui précisait l’impact qu’aurait l’intelligence artificielle sur les compétences des travailleurs et sur l’organisation et les conditions de travail.
D’une part, le rapport pointe la baisse d’exigence des qualifications s’agissant des métiers à forte proportion de tâches routinières et répétitives, ainsi que l’autonomisation de certains emplois qualifiés ou non qualifiés.
Si la robotique intelligente peut contribuer à préserver le corps des salariés et à diminuer consécutivement le risque accident du travail / maladie professionnelle, il ne faut pas sous-estimer certains écueils potentiels liés aux conditions de déploiement de ces outils faisant appel à l’intelligence artificielle, telles que la perte d’autonomie ou l’intensification du travail. De même, pourrait être observée une diminution de la communication de la part des salariés.
Se pose aussi la question de savoir à qui s’appliquerait le droit du travail. Si les systèmes d’intelligence artificielle viennent progressivement se substituer à la personne du salarié, le droit du travail ne s’appliquerait finalement qu’aux rapports entre employeur et systèmes d’intelligence artificielle. La reconnaissance de la personnalité juridique au système d’intelligence artificielle pourrait dans ces conditions émerger.
À l’inverse, une intelligence artificielle pourrait-elle être conduite à appliquer le droit du travail ? La question est surprenante et semble être très éloignée de notre conception actuelle du droit. Pour autant, il est intéressant de constater que ce pas a été franchi par l’entreprise chinoise Fujian NetDragon Websoft, spécialisée dans le jeu vidéo, qui a confié à une intelligence artificielle le soin de prendre sa direction générale et donc de représenter l’employeur.
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